« Au lion d’or, hôtel meublé »
En ce temps là, nous habitions à Chelles. Chelles est une ville
située à une dizaine de kilomètres de la capitale.
Nous avions, mes parents et moi, un logis dans un immeuble en face
de la gare. Le dit immeuble était situé à coté d’un pont de chemin de fer: les
trains tirés par des locomotives à vapeur passaient au niveau du deuxième étage
de la bâtisse à une trentaine de mètres de celle-ci. Un magasin de vente et de
réparation de deux roues s’intercalait entre la bâtisse et le remblai de la
voie de chemin de fer. Chaque fois qu’un train circulait sur ce pont, celui-ci
vibrait et les vibrations se propageaient aux infrastructures de l’immeuble. Le
souffle puissant des monstres d’acier émettait un bruit assourdissant et des
plus incommodant. C’est surtout pendant la nuit, que le bruit devenait des plus
perturbant et qu’il nous avait maintes fois sorti du sommeil .Les premières
semaines dans ce logement avaient été des plus difficiles. Plus tard, nos corps
deviendront moins sensibles à cette nuisance et le tintamarre et les
trépidations faisaient parties du décor. Il faut croire que l’homme peut s’adapter
à tous, en tout cas en apparence .Les cheminées des locomotives expulsaient d’épaisses
volutes de fumée noirâtre chargées de poussière de charbon. Cette poussière
restait en suspension dans l’air qu’elle empestait, puis finissait par
retomber, noircissant les murs et les toits, et salissant tout aussi bien les
vitres des fenêtres que l’intérieur des
logis. Il arrivait qu’elle souille aussi le linge que l’on avait pendu dehors,
pour que celui-ci sèche plus rapidement.
L’immeuble était de trois étages. Au rez-de-chaussée, il y avait un
magasin de lingerie féminine. Le reste des étages était occupé par un hôtel
meublé, enfin c’est ce qui était écrit sur la façade : « Au lion
d’or, hôtel meublé ». En fait, le seul mobilier qui agrémentait chaque
chambre était constituée d’une table sans âge, venant probablement d’un ancien
bistrot, de quatre chaises du même style et d’un lit.
Le papier peint pisseux résistait au temps depuis des décennies et,
parterre, il y avait un linoléum couleur ocre, qui bien que pas tout
jeune, était largement plus plaisant à regarder et plus facile à garder propre
que le plancher en bois que celui-ci recouvrait. Ce même plancher, on le retrouvait
sur chaque palier .L’escalier avait aussi des marches en bois, creusées en leur
milieu par l’usure du temps. Pour compléter ce tableau idyllique, la peinture
des murs de la cage d’escalier et de ceux des différents couloirs était d’un
blanc sale, un blanc d’avant guerre, un blanc chargé de crasse historique, en
quelque sorte.
Pour en finir avec les éléments de confort de l’endroit, il y avait
l’eau courante, bien sûr, mais sur le palier, quant aux nécessaires commodités,
les toilettes, elles trônaient au premier étage à un seul exemplaire, et bien
sûr elles étaient à la mode turc. Un seul lieu d’aisance, c’est peu pour un
immeuble de trois étages : les utiliser demandait une bonne dose de stratégie,
de patience et pas mal de courage. Ainsi, chacun devait se débrouiller avec les
moyens du bord –le pot de chambre était d’actualité- ou bien utiliser des ruses
de sioux pour prendre possession des lieux quand ceux-ci étaient disponibles.
En fait, l’hôtel n’avait d’hôtel que le nom et la totalité des
pensionnaires logeaient là depuis des mois, voir des années. Ces gens
semblaient s’accommoder du peu de salubrité de l’endroit et ce, probablement, à
cause de leur manque de moyens. En outre, l’immeuble étant situé en face de la
gare et il suffisait de vingt minutes en train pour atteindre le cœur de Paris.
Cette situation particulière faisait qu’il était pratique pour eux de résider
là. De plus Chelles, en ce temps là, était une ville calme et raisonnablement correcte
comparé à certains quartiers de Paris ou de certaines villes de la proche
banlieue.
Au début, nous habitions au troisième étage et nous n’avions qu’une
modeste chambre. Je dormais dans un
petit lit. Celui-ci était situé cote à cote avec celui de mes parents. Bientôt,
nous aurions la jouissance de la chambre mitoyenne, et mon père, muni des
autorisations adéquates, entrepris de percer la cloison et de créer une porte dans
le mur mitoyen aux deux chambres. A partir de ce moment là, l’endroit ressemblerait
plus à un appartement. Plus tard encore, nous obtiendrions l’appartement du
premier étage, celui qui était occupé par les propriétaires : deux sœurs
d’un certain âge qui n’avaient pas exactement toutes leurs têtes. En fait, tout
cela arriverait au fur et à mesure des évènements que je vais conter.