La grande école
Je n’ai aucun souvenir précis de l’école maternelle et donc je
suppose que tout se passa bien. Pour l’école primaire, c’est totalement différent :
les souvenirs abondent, et tous ne sont pas si plaisants.
Mon premier jour à la grande école avait été un déchirement pour
moi : je sentais confusément qu’une page avait été tourné dans ma petite
vie. Certes, je ne pleurais pas, mais le cœur n’y était pas. L’école était constituée
d’une cour entourée de bâtiments assez anciens construits en meulière. L’allure
générale de ceux-ci n’était pas désagréable, mais leur taille était
impressionnante pour un gamin tel que moi. Je sentais que les choses allaient
devenir plus sérieuses. D’ailleurs, mes parents et même la mère Michelle
n’avaient pas cessé de le répéter : « Tu es un homme maintenant, tu
vas bientôt aller à la grande école ». J’étais un petit garçon
rondouillard, un peu timide, plutôt calme et d’un caractère gentil. J’étais, à
cette époque, l’enfant unique que mes parents chérissaient et gâtait. Etre très
cocooné a beaucoup d’avantages, mais aussi pas mal d’inconvénients :
j’était un peu trop introverti. Le premier jour d’école allait être violemment
inoubliable pour moi. Une fois dans la classe, le maître à blouse grise avait
demandé nos noms, notre lieu de naissance et l’occupation de nos parents dans
la vie. Il nous expliquait que la grande école c’était sérieux, que c’était
comme une grande famille, qu’il était important qu’il nous connaisse mieux et
que nous nous connaissions mieux entre nous. J’avais dit mon nom et que je
n’était pas sûr, mais que je pensait que j’était né en Algérie et que je ne
savais pas où l’Algérie se situait. Il avait noté les informations sur son
grand cahier, comme pour les autres, puis avait relevé la tête, m’avait regardé
par-dessus ses petites lunettes rondes, et avait dit d’une voie
lointaine : « C’est intéressant, hum, très intéressant ! ».
Je ne voyais pas ce qu’il y avait d’intéressant là dedans. L’heure de la
récréation arriva très rapidement. Enfin, j’étais dehors. Je m’étais mis à
l’écart des autres, contre un mur. C’était par timidité et non pas pour
m’isoler des autres. Certains déjà s’amusaient, riaient et formaient des
bandes. J’avais remarqué un garçon plus grand que moi - peut être avait-il deux
ans de plus que moi – qui était le centre d’un petit groupe. Il parlait fort en
faisant beaucoup de grimaces et de grands gestes au grand plaisir de son
auditoire, il faisait beaucoup rire tout le monde. C’était sûr, c’était un
« grand » qui n’était pas à sa première année à la grande école. A un
moment, je le vis se diriger vers moi. Il avait un grand sourire et sa cour le
suivait des yeux et riait de plus belle. Il paraissait gentil et sympathique,
et je ne voyais aucune raison de me méfier de lui. Arrivé devant moi, il me
demanda mon nom. Après ma réponse, il me demanda, avec un énorme sourire sur
son visage, si c’était bien moi qui étais né en Algérie. Il me laissa à peine
répondre et aussitôt me décocha un coup de poing sur le nez, qui me fit tomber
par terre. Puis, son méfait accomplit, il s’éloigna de moi en s’esclaffant.
J’était sur le sol, mon nez saignait, j’avais envie de pleurer mais aucune
larme ne coulait de mes yeux : j’était trop abasourdi par ce qu’il venait
de se passer. Un garçon de ma classe vint à ma rescousse, m’aida à me relever
et me tendit son mouchoir pour que je l’applique sur le nez. Au bout de
quelques minutes, le sang s’arrêta et quand je voulue rendre le mouchoir à son
propriétaire, celui-ci me dit que je pouvait le garder. Je le mis dans la poche
de ma blouse. Je voulus remercier mon nouveau copain mais cela ne fut pas
possible car la sonnerie retentissait : la « récré » était
finit, il fallait se mettre en rang et se taire. L’après midi, ma mère vint me
chercher et m’emmenât sur son vélo. A la maison, quand elle se mit à enlever ma
blouse, le mouchoir ensanglanté tomba sur le sol. Il me fallait maintenant
donner des explications, et je racontai l’histoire à ma mère. Le lendemain, mon
père, mis au courrant de ma mésaventure, vint me chercher à la sortie de
l’école, puis demanda à voir le directeur de l’établissement. Nous fûmes
introduit dans le grand bureau où trônait monsieur le directeur : un homme
joviale qui nous recevait plus par obligation qu’autre chose. J’étais très
impressionné. Après avoir entendu l’histoire de la bouche de mon père, il me
posa des questions sur mon agresseur, puis il affirma qu’il ferait le
nécessaire pour trouver le fautif, qu’il lui donnerait une punition bien
méritée et qu’il saurait le forcer à présenter des excuses. Mon père, qui était
passablement nerveux à cause de la situation, dit que c’était grave qu’un gamin
en frappe un autre à cause du lieu de sa naissance, mais qu’un gamin de six ou
sept ans qui fait cela ne le fait pas par haine et est certainement influencé
par les conversations de ses parents à la maison et que c’était eux les
fautifs. Le directeur acquiesça d’un : « Vous avez raison, mais que
voulez vous qu’on y fasses ? » qui ne fit que rendre plus nerveux mon
père. Il répondit aussitôt, qu’il voulait voir les parents de l’écolier. La
rencontre fut organisée la semaine suivante dans le bureau du directeur. Il y
avait là : mon père et moi-même, l’autre gamin et ses parents, et monsieur
le directeur qui avait perdu de sa superbe. Le directeur nous présentâmes les
uns aux autres, puis mon père demanda la parole et, calmement, tint le même
discours qu’une semaine auparavant. Les parents de l’autre gamin, confus et
rougissant répondirent au discourt en présentant des excuses accompagnées
de : « Vous savez, on entend tellement de choses à la radio et, oui,
oui, vous avez raison, on fera attention à l’avenir ! ».
Ce fut la première et la dernière fois qu’un gamin allait
m’agresser pour des raisons racistes.