La couverture
La boulangerie se situait sur le même
trottoir à deux ou trois commerces de l’immeuble. J’aimais beaucoup quand ma
mère me demandait d’y aller pour acheter le pain. Quelques fois, elle me
donnait un peu de monnaie pour m’acheter des sucreries. Bien sûr, j’aimais ces
petites récompenses, mais ce que j’appréciais par-dessus tout c’est les
senteurs de cette boutique. L’odeur du pain fraîchement sorti du four se mêlait
à celui des viennoiseries et des pâtisseries : c’était un univers emplit
de douceurs qui me faisaient saliver. De plus, ces courses à la boulangerie
représentaient de bonnes opportunités pour sortir. J’aimais beaucoup flâner,
regarder aux devantures des boutiques et observer les gens. Je me faisais
souvent réprimander car j’avais mis beaucoup trop de temps pour aller chercher
le pain. Je prétendais qu’il y avait eu beaucoup de monde à la boulangerie, et
que la chaîne s’étendait jusqu’à l’extérieur de la boutique. Ma mère faisait
semblant de me croire. D’ailleurs, ce n’était qu’un demi mensonge car, quelque
fois, il avait foule dans cette boutique. Ce jour là, au moment où je sortais
de l’échoppe avec mon pain à la main, mon attention fut accaparée par un
étrange remue-ménage sur le trottoir d’en face : quelques personnes
s’étaient attroupées et regardaient en l’air. Certains parlaient fort et
d’autres observaient. Une voie, alors, couvrit toutes les autres. Elle criait :
« ne faites pas ça, ne faites pas ça… ». A ce moment là, je vis qu’il
y avait une femme en peignoir qui était à sa fenêtre, au dernier étage de
l’immeuble. Elle était assise sur la rambarde et son corps penchait
dangereusement dehors. Il y eu un cri accompagné de la chute dans le vide de ce
corps. Les gens s’étaient écartés puis, vivement regroupés pour cacher le
corps. Un voisin avait très vite apporté une couverture pour recouvrir la
malheureuse. Il l’avait mis sur le corps et, sur l’injonction du libraire d’à
coté, la troupe avait un peu desserrée son étau. On pouvait maintenant
apercevoir une forme étendue à même le trottoir. La couverture était trop
courte pour dissimuler le corps disloqué, et après quelques essais, on préféra recouvrir
complètement le haut du corps, seul dépassait un peu de ses cheveux auréolés de
rouge, et ses pieds. Un pied était nu et l’autre était toujours chaussé d’une
mule. Des spasmes nerveux les avaient fait tressauter deux ou trois fois. Tout
ceci s’était passé devant mes yeux incrédules ! Je choisissais de vite
courir chez moi pour conter à ma mère l’aventure. Ce n’est qu’une fois arrivé
dans l’immeuble que je réalisais ce qui s’était vraiment passé. J’étais assez
choqué et cela a pris un bon moment pour que je raconte tout à mes parents.
C’était le premier mort que je n’est
jamais vu et, c’est à cause de cette couverture trop courte que j’avais assisté
à ce détail grotesque : les pieds de la morte bougeait encore. Cette image
allait me perturber longtemps.