Monsieur Maréchal avait aussi ses petits travers
Monsieur Maréchal était un ancien légionnaire d’une cinquantaine
d’années et il avait beaucoup de mal à faire face à la vie civil. Il avait trouvé
deux ou trois fois un travail, mais il n’avait jamais conservé ceux-ci plus
longtemps que quelques semaines. La plupart du temps, il dilapidait son argent
et son temps à boire de la bière chez lui ou dans des bistrots. Quant il était
soul, il ne faisait jamais de scandale : accompagné des réprimandes
bruyantes de sa femme il allait se coucher. Au-dessus du lit, accrochés au
plafonds au bout de fils de nylon, il y avait de petites maquettes d’avions de
guerre, de tanks, de jeeps et de petits personnages qui figuraient des
militaires qui pendaient sous des parachutes de plastique translucide. En
voyant ça, je compris que son lit était le seul endroit où il pouvait retrouver
un certain bonheur, et en contemplant le plafond, il pouvait certainement rêver
à une vie révolue et à de nouveaux exploits. Quand sa femme était absente, il
ramenait chez lui une jeune femme assez belle, dont il était l’aîné d’une
vingtaine d’années. Ils s’enfermaient dans le logement pour boire de la bière,
et plus ils buvaient, plus ils riaient. Quelques fois, ils fermaient les volets
et ceux ci restaient clos pendant de longs moments. Le gamin que j’étais
trouvait tout ceci étrange et ce qu’ils pouvaient faire derrière les volets
clos restait un mystère pour moi.
Le colosse n’atteint jamais la soixantaine. Il décédât « d’une
étrange maladie », comme disait pudiquement les gens de mon entourage.
Plus tard, je compris que cette maladie s’appelait le mal de vivre, et qu’il essayait de le
noyer dans des océans d’alcool. Ainsi, même un chêne peut être abattu si le mal
le ronge de l’intérieur. Sa femme le rejoignit dans la paix, moins d’un an plus
tard.