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Au lion d'or
Au lion d'or
  • C'est un roman autobiographique dont l'action se situe dans mes jeunes années. C'est, avant tout, une suite de petites histoires qui peuvent être lues séparement. Vous êtes bienvenue sur mon blog: "Au lion d'or"!
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12 mai 2007

Treize invités à la maison

       Puis vint le moment de la conclusion du problème algérien. Les Algériens accédaient à l’indépendance, et les Pieds noirs n’avaient plus qu’à partir en métropole ou bien rester et devenir algériens. Bien sûr, l’écrasante majorité avait choisi la première solution. Nous étions en 1962, deux ans après notre installation « Au lion d’or ». Mes parents suivaient les actualités, et les nouvelles étaient plutôt controversées et inquiétantes : le discourt officiel disait qu’il y aurai un simple rapatriement des français d’Algérie vers la métropole qui les accueillerai les bras ouverts, mais d’autres parlaient d’un nouvelle exode, pareil à celui qui s’était produit pendant la deuxième guerre mondiale, et qu’il serait accompagné de tueries organisées par le FLN. En plus, depuis quelque temps il n’y avait plus de nouvelle de la famille. Tout ça n’était pas rassurant. Le père de mon père était mort au début des événements, un peu par vieillesse et beaucoup par déception, oui, déception de voir son pays se déchiré. Le père de ma mère, qui avait plus de quatre vingt ans pendant ces fameux événements et qui était retraité des Postes, avait pris ce qui se passait avec une certaine clairvoyance teintée de haine. Le vieille homme était apprécié de tous et particulièrement des arabes : sa fonction de facteur faisait qu’il rendait beaucoup de petits services. Beaucoup d’arabes et certains Pieds noirs étaient analphabètes et mon grand-père écrivait souvent les lettres qu’ils ne pouvaient écrire eux même, ou bien leur lisait celles qu’ils recevaient ou encore remplissait pour eux les papiers administratifs. Il était toujours là pour rendre service. Depuis le début de ces tristes évènements, quand il était assis sur sa chaise devant sa porte à la mode méditerranéenne, chaque fois qu’un arabe passait, il se mettait à l’insulter. Il disait des : « Espèce de salopard, cochon tu veux me faire partir, tu veux me voler mon pays ! ». Chaque fois l’homme insulté essayait de le calmer par un mot gentil. Certain lui disait : « Ne vous fâchez pas monsieur Conte, je vous connaît bien, tout le monde vous connaît bien ici, ici vous êtes chez vous, on en a pas après vous, vous êtes le bienvenue sur cette terre ». Jamais personne n’avait réussi à le calmer complètement. Il est mort en 1958. Ces derniers mots avait été : « Personne ne me fera partir de ce pays, c’est ma terre ». Quand à mes deux grands-mères, elles survécurent à leurs maris et vinrent en France.

Mes parents étaient très inquiets pour elles et pour le reste de la famille. Puis un jour, l’incroyable est arrivé : un coup de fil d’un de mes oncles nous prévenait que tout le monde était sauf, en bonne santé et en France. Une partie de la famille avait trouvé refuge chez un autre oncle qui vivait près d’Angoulême et il nous demandait si on pouvait le recevoir avec sa femme et ses deux enfants. Le lendemain, ils étaient chez nous. Quelques jours plus tard, nous vîmes arriver un autre oncle avec sa femme et ma grand-mère : la mère de mon père. Puis, enfin, un autre oncle, sa femme et leur fils se retrouvèrent aussi à la maison.

Ainsi, nous avions treize invités à la maison.

        Certains ne restèrent que quelques jours, et au bout de quelques semaines il ne restait plus qu’un des oncles, sa femme et ma grand-mère. Il est intéressant de noter que des années auparavant, en Algérie, certain de nos « invités » avait critiqué mon père avant que celui-ci parte en France. Ils l’avaient traité de « traître » pour partir comme ça, et de « fou » car l’Algérie resterai toujours française. Quoiqu’il en soit, à la fin ils avaient trouvé refuge et aide chez « le traître et le fou ».

Je découvrais à cette occasion cette famille dont je n’avais aucun souvenir distinct : de mes quatre premières années, je ne conserves que des lambeaux d’événements comme des flashs qui flottent dans ma mémoire.

Toutes ces personnes, qui m’étaient inconnues, avaient pour points communs se malaise, cette anéantissement et cette difficulté de communiquer, qui sont les caractéristiques des déracinés. Mais, ce qui m’avait choqué aux plus au point, et qui m’a hanté pendant très longtemps, c’était leurs regards fixes et absents : ils étaient maintenant en France mais leurs cœurs étaient restés quelque part sur l’autre rive de la Méditerranée. Je compris beaucoup plus tard, que même si le combat du peuple algérien pour reconquérir son territoire avaient été légitime, cette terre était aussi la terre natale des « Pieds noirs », et pour beaucoup cela l’avait été aussi pour leurs parents et les parents de leurs parents. Dans leur cœur, cette terre sera toujours leur pays et ils conserveront toujours une nostalgie profonde de ce qui n’est plus et le sentiment profond d’avoir été mystifiés par des gens qui n’avaient soif que de pouvoir.

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